1.2 L’expérience du Minnesota
- annem111
- 2 juin 2021
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 24 juin 2021
Entrons dans le vif du sujet avec cette expérience, dont les conclusions permettent de comprendre le seul et unique facteur à l’origine des crises de boulimie.
Il s’agit d’une étude clinique réalisée à l’université du Minnesota entre le 19 novembre 1944 et le 20 décembre 1945, menée par le physiologiste Ancel Keys. Trente-six sujets hommes ont participé, tous volontaires âgés de vingt-deux à trente-trois ans, sans antécédents médicaux ni psychiatriques, et de poids « normal ».
L’objectif de l’étude était de « déterminer les effets physiologiques et psychologiques de la restriction diététique grave et prolongée et l’efficacité des stratégies diététiques de réadaptation » (Wikipédia). A l’époque, la motivation principale des scientifiques était de guider l’aide humanitaire aux victimes de la famine en Europe et en Asie à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
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L’expérience s’est déroulée en quatre phases.
- Période de contrôle (12 semaines) : les sujets recevaient un régime équilibré d’environ 3200 calories par jour, plus ou moins ajusté afin que leur poids reste stable.
- Période de semi-famine (24 semaines) : l’apport alimentaire des sujets a été réduit de moitié. Au bout des six mois de diète, des photos ont été publiées dans la presse, montrant les participants avec le torse nu particulièrement osseux (voir ci-dessous).
- Période de réadaptation restreinte (12 semaines) : les participants ont été divisés en quatre groupes de huit, chaque groupe recevant des apports caloriques, protéiques et vitaminiques en quantités et proportions variables.
- Période de réadaptation sans restriction (8 semaines) : les sujets pouvaient s’alimenter à leur convenance, tous leurs apports étant consignés et étudiés.

Pendant toute la durée de l’expérience, les sujets se sont vus confier une quantité de travail en laboratoire précise, ils devaient marcher au moins trente-cinq kilomètres par semaine et tenir un journal sur leurs ressentis personnels. Ils étaient en plus soumis régulièrement à différents tests, mesures, examens et évaluations psychologiques. A l’issue de la période de semi-famine, ils avaient tous perdu environ 25% de leur poids (ce qui était l’effet recherché). Deux sujets ont été écartés car ils ne sont pas parvenus à suivre les restrictions, et les données de deux autres sujets, sur lesquelles portaient des doutes, n’ont pas été retenues pour l’analyse.
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Parmi les conclusions de l’étude, il s’est avéré que :
==> La période de semi-famine a conduit à une augmentation importante de la dépression, de l’hystérie, de l’hypocondrie, de phénomènes de détresse émotionnelle grave.
==> La période de réadaptation a été psychologiquement la phase la plus difficile, avec des comportements parfois extrêmes (par exemple automutilation).
==> Pendant ces deux phases, les sujets ont montré de fortes obsessions vis-à-vis de la nourriture, une baisse drastique de la libido, un retrait social avec isolement, des capacités de concentration et de jugement très affaiblies, une diminution du métabolisme (impactant température corporelle, respiration et fréquence cardiaque), certains sujets ont en outre présenté des œdèmes aux extrémités.
Il est intéressant de détailler les comportements liés aux obsessions alimentaires : conversations et lectures exclusivement centrées sur la nourriture, collection de livres ou de recettes de cuisine, rêves d’orgies alimentaires, attitude possessive vis-à-vis de la nourriture, hantise du gâchis, techniques pour prolonger les repas (allonger avec de l’eau, découper en tous petits morceaux…), consommation frénétique de « coupe-faim » (café, chewing-gum, tabac), suivi rigide et « quasi-religieux » de la diète, mais aussi fouille de poubelles à la recherche de restes... Plusieurs sujets ont, contre toute attente, entamé une reconversion professionnelle dans un domaine lié à l'alimentation (trois dans la restauration, un dans la production agricole).
En phase de réadaptation sans restriction, les sujets se sont mis à développer des troubles d’un autre ordre : consommation de l’équivalent de plusieurs repas en une seule fois, difficultés à discerner les indices de la faim (qui semble alors inextinguible), crises de boulimie (jusqu’à 10 000 calories et plus) suivies d'une forte culpabilité et parfois de techniques de purge, préoccupation anormale concernant l’image corporelle et le poids (perception déformée d’eux-mêmes et des autres, jugés « gros »).
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Ces comportements sont bien connus des personnes souffrant de TCA (on relève des traits anorexiques aussi bien que boulimiques), ce qui n’a pas échappé aux différents observateurs :
« Une des observations cruciales de l’expérience de famine du Minnesota discutée par un certain nombre de chercheurs dans les sciences nutritionnelles - y compris Ancel Keys - est que les effets physiques de la semi-famine induite au cours de l’étude se rapprochent étroitement des conditions vécues par les personnes atteintes d’une gamme de troubles de l’alimentation tels que l’anorexie mentale et la boulimie nerveuse. À la suite de l’étude, il a été postulé que bon nombre des effets sociaux et psychologiques profonds de ces troubles peuvent résulter de la dénutrition, et le rétablissement dépend de la ré-alimentation physique, ainsi que le traitement psychologique. » (Wikipédia)
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En d’autres termes, l’expérience du Minnesota nous montre que :
- Tous les comportements caractéristiques des TCA peuvent être déclenchés chez n’importe quelle personne « normale » et à priori saine avec la nourriture.
- Ces personnes n’ont pas besoin d’être particulièrement prédisposées pour déclencher ces troubles (être une femme, avoir eu une enfance difficile, des problèmes émotionnels, un « terrain addictif », une dysmorphophobie… et autres clichés associés aux TCA).
- Les troubles (c’est-à-dire les comportements anorexiques ou boulimiques, ainsi que les altérations de la personnalité) résultent des restrictions alimentaires et de la dénutrition. Ils ne sont pas des causes mais des conséquences.
- Les troubles cessent quand les personnes sont renourries assez longtemps et assez abondamment, et quand elles retrouvent leur poids de santé.
- L’efficacité du traitement psychologique dépend, elle aussi, de la renutrition.
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