1.4 Famine et neurosciences
- annem111
- 2 juin 2021
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 21 juin 2021
Pour bien saisir les mécanismes en jeu, voyons maintenant ce qu’il se passe dans le cerveau lorsque l’état de semi-famine est atteint.

Si on se base sur les travaux du neurobiologiste américain Paul MacLean (1913-2007), notre cerveau est composé de trois parties, qui se sont mises en place successivement au cours de l’évolution de l’espèce :
- le cerveau reptilien (ou paléocortex ou cerveau primitif ou viscéral),
- le cerveau limbique (ou méso-cortex ou cerveau mammalien),
- le néocortex (ou cerveau supérieur ou néo-mammalien).
Le cerveau reptilien est le plus archaïque. Il gère les fonctions vitales de notre organisme (fréquence cardiaque, respiration, température corporelle, alimentation, reproduction) ; il est le siège de nos pulsions profondes et de notre instinct de survie. Certains animaux (les reptiles notamment) sont régis uniquement par ce cerveau, d’où son nom.
Le cerveau limbique gère des fonctions plus avancées telles que la régulation de comportements agréables ou désagréables ; il est le siège de nos émotions, de nos sentiments et de nos croyances.
Enfin, le néocortex est le cerveau qui a pris le plus d’importance dans notre évolution ; il gère le langage, la pensée abstraite, l’imagination, la conscience. C’est principalement lui qui est doté de capacités d’apprentissage et d’adaptation.
Paul MacLean défendait une certaine autonomie entre chacun des trois cerveaux. La recherche actuelle considère que la réalité est un peu plus complexe, et que ce modèle est une simplification. Il est néanmoins toujours valide et peut être utilisé pour son intérêt explicatif et pédagogique, comme nous allons le voir dans ce qui suit.
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Dans son livre Brain over Binge, Kathryn Hansen décrit la crise de boulimie comme une réponse primitive du cerveau reptilien à un signal de famine, et ce dans un but de survie (c’est-à-dire qu’à tort ou à raison, le cerveau aura interprété les restrictions alimentaires ni plus ni moins que comme une menace de mort).
Cette théorie est intéressante pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, elle rejoint bien les conclusions de l’expérience du Minnesota.
On comprend que ces étranges impulsions à se « suralimenter » sont liées au réveil d’instincts de survie extrêmement puissants, générant des comportements quasi-animaux, impossibles à contrôler. La personne boulimique, souvent démunie face à ses rages de nourritures et à certaines de ses actions (mentir, voler, faire les poubelles, ingérer des choses non comestibles, manquer de s’étouffer…) peut ainsi dédramatiser. Elle réalise que ce n’est pas un « démon » intérieur qui la fait agir de la sorte ; ce n’est pas non plus une maladie mentale.
Ensuite, le fait que le cerveau limbique ou « émotionnel » n’entre pas en jeu dans le déclenchement des crises confirme qu’elles ne sont motivées ni par des processus émotionnels, ni par une recherche de jouissance. Leur cause première n’est tout simplement pas reliée à la psychologie de l’individu.
Enfin, cette théorie nous apporte des pistes précises concernant la guérison.
Le cerveau reptilien d’une personne boulimique n’a en effet aucun problème : il n’est pas plus sensible ou plus dysfonctionnel qu’un autre. Il joue seulement son rôle, qui est de la maintenir en vie, en produisant des réponses réflexes quand certains signaux sont activés. On ne peut pas attendre du cerveau reptilien qu’il « se corrige » ou qu’il
s’adapte ; on sait que c’est impossible, car il n’est pas fait pour ça. De nos trois cerveaux, c’est le seul à ne pas être sensible à l’expérience, c’est-à-dire qu’il n’est pas capable d’apprendre, d’évoluer ou de se perfectionner.
Donc à un même signal, il produira toujours une même réponse automatique, stéréotypée, profondément instinctive. Par exemple, face à tel ou tel signal de danger, il répondra toujours (et c’est heureux !) par des pulsions de fuite. De même, à un signal de famine, il répondra toujours par des pulsions de boulimie.
Pour faire disparaître les crises, il n’y a qu’une seule solution : cesser d’activer ce signal.
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