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3.5 Ne pas rechuter

  • Photo du rédacteur: annem111
    annem111
  • 2 juin 2021
  • 9 min de lecture

Dernière mise à jour : 25 juin 2021


Les « hommes du Minnesota » ont été suivis pendant de nombreuses années suite à l’expérience. Dix-huit parmi eux étaient toujours vivants en 2003, et ont participé à une série d’interviews. Ils ont tous confirmé n’avoir connu aucune séquelle relative à l’étude, ni sur le plan médical, ni sur le plan psychologique. Toutefois, les dix-huit nonagénaires ont formulé exactement la même remarque : ils ont passé le reste de leur vie avec la crainte intense et persistante, que la nourriture ne vienne à manquer de nouveau.


Les personnes ayant souffert de TCA ont, de la même façon, un historique de

« famine ». C’est le premier point dont il faut être conscient pour ne pas rechuter.


Le second point est qu’il est possible que, pour des raisons psychologiques et/ou génétiques, certains malades aient une tendance anormale à se mettre « en restriction ».


N’oublions pas que la boulimie est, au même titre que l’anorexie, un trouble alimentaire restrictif. Il existe à l’heure actuelle plusieurs hypothèses pour expliquer cette tendance, l’une d’elles étant que les malades présenteraient une anomalie au niveau du système de récompense cérébral : leur cerveau ne répondrait pas comme les autres au plaisir (auquel il associerait de l’anxiété) et à la privation (à laquelle il associerait du plaisir). On ignore si ceci est une cause ou une conséquence des épisodes de troubles alimentaires, ni si c’est une explication valide (voir les travaux du Pr Walter Kaye à ce sujet).



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Dans tous les cas, la conclusion est la même : pour ne pas rechuter, il ne faut plus jamais se mettre, de près ou de loin, physiquement ou mentalement, dans une situation de restriction. Un cerveau qui a connu la famine se tient sur ses gardes, et peut, au moindre signe d’alerte, déclencher de nouveau le « mode survie ».


Pour ma part, j’ai pris l’habitude de résumer les choses d’une façon peut-être un peu simpliste, mais néanmoins efficace : « Je ne dois plus jamais mettre mon cerveau reptilien en panique. »


Il faut savoir que le cerveau reptilien n’a qu’une mémoire à court terme, et qu’il traite de la même façon les données enregistrées il y a trente ans que celles d’il y a cinq minutes ; pour notre instinct de survie, cela revient exactement au même (ce que semblent confirmer les sujets du Minnesota). Il faut donc bien se dire que cela ne passera pas avec le temps ! Et que la plasticité cérébrale ne s’applique, en l’occurrence, pas à ce niveau : le cerveau reptilien est « préprogrammé », il n’apprend pas et il ne se corrige pas.



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Pour ne plus se mettre en restriction, il faut prendre l’habitude de se surveiller, et être vigilant sur tout ce qui pourrait constituer une pente glissante. Cela peut bien sûr varier en fonction des personnes, mais il y a tout de même quelques grands « classiques ».


En général, il est conseillé de :


- ne pas se peser ;

- ne pas compter les calories ;

- ne pas chercher à mincir volontairement ;

- ne pas se comparer avec les autres ;

- ne pas constamment vérifier et évaluer son corps (« body checking ») ;

- ne pas se laisser séduire par des « bizarreries » alimentaires ;

- ne pas chercher à modifier volontairement son corps par le sport.


Comme pour d’autres points abordés précédemment, on peut estimer que certaines de ces pratiques sont pourtant banales voire positives ; pour les personnes ayant souffert de TCA, elles sont néanmoins des facteurs de risque importants.



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La balance est, selon moi, à éliminer totalement. Il est plus simple de se débarrasser de l’objet que de devoir s’empêcher chaque jour de monter dessus. Aux personnes qui s’imaginent qu’il est souhaitable, pour des raisons de santé, de se peser régulièrement, je répondrai qu’il s’agit là d’un conditionnement : elles n’éprouvent pas le besoin de vérifier sans cesse les autres constantes de leur corps, comme leur tension artérielle, leur SaO2 ou leur pH urinaire (pourtant moins visibles, et plus importants).


Ne pas se peser n’invite pas à se « laisser aller », bien au contraire : réapprendre à être en contact avec son corps par les ressentis, plutôt que par des chiffres, est une attitude saine et beaucoup plus efficace (si on n’en parle pas dans les médias, c’est juste parce que ça ne nous fait pas dépenser d’argent).


Il faut aussi savoir que le set-point ne se situe pas à un chiffre précis, qu’il se tient plutôt dans une fourchette. Le poids peut varier d’un jour à l’autre (fluctuations liées à la digestion, à l’hydratation, au cycle menstruel, etc.) mais aussi selon les périodes : par exemple, on peut être « programmé » pour faire quelques kilos de plus en hiver, ou on peut grossir un peu si on traverse une période difficile au cours de laquelle on se réconforte en mangeant. Cela n’a absolument rien d’anormal ou d’alarmant ; ce qu’il ne faut pas, c’est s’en affoler et commencer à y répondre par des comportements toxiques (restrictions). Ne pas se peser est donc le plus sûr moyen de ne pas s’engager dans ce type de réactions.


Dans le même ordre d’idée, les différents « trackers » sur les téléphones, montres ou bracelets connectés, sont des fonctions inutiles et même malsaines (au moins dans notre cas). Là encore, il faut apprendre à faire du sport ou à manger avec ses ressentis, plutôt qu’avec « sa tête » et des données comptables.


Bien sûr, il convient de supprimer les applications pour calculer les calories, du type FatSecret ou MyFitnessPal. De toute façon, les calories ne sont plus à voir comme une chose négative, qu’il faudrait surveiller, limiter, éliminer ou compenser (elles comblent nos besoins fondamentaux en énergie, en nutrition et en plaisir ; notre corps sait les réguler tout seul, elles sont des « amies »).



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Les anglo-saxons nomment « body checking » toutes les pratiques de « vérification » du corps. On peut citer par exemple : se peser, se mesurer avec un mètre ruban, se regarder dans le miroir, guetter son reflet dans les vitrines, prendre des selfies, essayer divers vêtements, scruter telle ou telle partie de son corps, se palper pour sentir son

gras, ses muscles ou ses os, se comparer aux autres, poser des questions sur son apparence, etc.


Si tout le monde fait cela de temps à autre, ces pratiques peuvent avoir tendance à se répéter un peu trop souvent, au point de devenir compulsives chez certains. C’est généralement le cas des personnes ayant des TCA. Des études américaines ont montré qu’il existe bien un lien entre ces pratiques répétées de façon obsessionnelle, et les problèmes de comportement alimentaire, qu’elles ont pour effet d’aggraver.


C’est logique : le « body checking » augmente l’anxiété au sujet du poids, active les idées négatives sur la silhouette, et les réponses restrictives qui leur sont associées.


Nous pouvons avoir tendance à retourner vers des restrictions alimentaires, de façon plus ou moins consciente. C’est un premier risque, mais il y en a aussi un autre : souvenons-nous que nos cerveaux sont sensibles aux restrictions « mentales ». Par conséquent, les attitudes crispées et anxieuses, accompagnées de pensées restrictives, sont susceptibles de déclencher la même cascade de réactions que des restrictions

« physiques » bien réelles. Un climat mental de restriction peut ainsi préparer le terrain à de nouvelles crises de boulimie.


Et ce n’est pas si étonnant que ça en a l’air : notre cerveau a bien enregistré que c’est précisément dans ce climat qu’ont commencé à apparaître les premières restrictions. Il sait donc identifier certains types de pensées ou de comportements comme de possibles précurseurs de l’état de famine. Il est cohérent qu’il mette alors en place tout ce qu’il peut pour endiguer celle-ci. Il ne s’agit pas ici de s’alarmer excessivement, car il est vrai que nous ne pouvons pas contrôler chacune de nos pensées. Mais ce n’est pas nécessaire : ce qui est important, c’est de ne plus nous mettre dans ce climat de restriction mentale, d’une façon générale.


C’est pourquoi le « body checking » doit être strictement limité. De plus, cela ne fait de mal à personne d’apprendre à être plus détendu et bienveillant vis-à-vis de son apparence !



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A ce sujet, il peut être utile de préciser une chose : une vision saine de son corps suppose aussi de ne plus se fier aux commentaires des autres.


La plupart de ceux ayant connu des variations de poids durant leurs TCA savent très bien que l'on entend moult éloges et compliments précisément lorsqu’on s’enfonce dans la maladie ; inversement, pendant la guérison, on essuiera immanquablement quelques « t’as pas grossi ?! » ou « tu devrais faire plus attention !! ».


Cela peut froisser ou mettre en colère, mais il ne faut surtout pas retomber dans ses anciens travers ! Il faut plutôt voir là un indice que c’est notre société (et non plus nous) qui a un sérieux problème : programmer et contrôler artificiellement son poids y est perçu comme une chose forcément positive et normale (nonobstant les moyens employés), tandis que manger à sa faim paraît aussitôt laxiste voire suspect.


En guérissant, on peut se féliciter de sortir de cet esclavage, éduquer les proches capables de comprendre (les commentaires sur le poids, dans un sens ou dans l’autre, sont inconvenants !) et ignorer superbement les autres.



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Concernant l’alimentation proprement dite, nous avons vu qu’il faut veiller à manger

« normalement ». Les personnes sujettes aux TCA ont cependant une forte inclination pour les « bizarreries » : il s’agit parfois de vouloir perdre du poids, mais les intentions peuvent être autres. Faire attention à sa santé, aux animaux ou à l’environnement sont aussi de possibles motivations.


Entendons-nous bien : il n’y a en soi rien d’anormal dans le fait de vouloir manger méditerranéen (par exemple) pour se sentir en forme, ou végétarien ou même « vegan » parce que l'on aime la nature !


Le souci vient du fait que les malades de TCA se dirigent vers ces modèles alimentaires, de façon inconsciente, pour de toutes autres raisons : ils peuvent avoir une tendance naturelle aux restrictions (auquel cas supprimer des groupes entiers d’aliments leur semble séduisant), mais surtout, l’anxiété liée à la nourriture n’est pas forcément complètement partie. Il est donc très courant que les troubles alimentaires se déplacent, et que les anciens anorexiques et/ou boulimiques prennent ensuite le chemin de l’orthorexie (qui est l’obsession de manger sain).


Avec leur peu de sens de la mesure, cela risque d’ailleurs de les entraîner très loin : crudivorisme, monodiètes, cures de jus de légumes, etc. Or l’orthorexie est, elle aussi, un TCA : elle procède exactement de la même peur de la nourriture, sous un jour peut-être moins restrictif, mais plus sélectif. On observe donc bien ici, ce que l’on soupçonne depuis longtemps : les différents TCA ne sont pas séparés les uns des autres, mais forment un continuum, dans lequel la plupart des malades circulent au cours de leur vie.


Et il ne faut pas s’imaginer que l’orthorexie serait plus acceptable ou moins grave que les autres formes de TCA : la blogueuse Elisa Oras par exemple, explique qu’elle était orthorexique avant de devenir boulimique, et que c’est son obsession de la nourriture saine qui a déclenché les troubles. Elle n’a jamais fait de régime hypo-calorique, ni connu de phase anorexique ; elle n’a même jamais perdu de poids avant de faire ses premières crises. Mais elle suivait un modèle alimentaire très strict, « whole food plant based », c’est-à-dire végétalien, uniquement avec des aliments entiers, sans sucre, sans huile et sans sel. Elle ne s’est jamais mise en restriction calorique, ce qui ne l’a pas empêchée de déclencher le « mode famine ».


Les restrictions, qu’elles se présentent sous des formes plus sélectives ou plus mentales, n’en sont donc pas moins des restrictions. C’est pourquoi nous devons constamment nous surveiller pour continuer à manger « normalement ».



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De manière générale, on conseille aux anciens malades de se tenir à distance de toutes les formes d’obsessions liées à la nourriture et au corps. Quelques précautions s’imposent donc aussi concernant l’exercice physique.


On a vu que le sport pratiqué de façon excessive est un trouble du comportement à part entière, qui peut entrer dans le champ des TCA. De plus, une fois le contrôle alimentaire levé, certains se reportent sur d’autres techniques pour modifier leur anatomie, de façon toute aussi obsessionnelle : par exemple, il semble qu’un nombre croissant de personnes tombent ensuite dans l’addiction au fitness.


On voit ainsi d’anciennes anorexiques et/ou boulimiques présenter un corps complètement remodelé par le culturisme, et une silhouette très peu naturelle (hypertrophie des muscles fessiers notamment, nommés « glutes », et très à la mode actuellement). Certains observateurs estiment que cette mode est, pour l’industrie du fitness (toute puissante aux USA), une façon perverse de se réintroduire auprès d’un profil de clients qui avaient plus ou moins déserté les salles, en soignant leur maladie. Sans vouloir aller trop loin dans cette vision un peu « complotiste », il faut être conscient de ces dangers. Et lorsqu’on navigue sur internet à la recherche de témoignages d’anciens malades, on tombe en effet très rapidement sur ce type de profils, en particulier chez les plus jeunes.


N’ayant plus le « droit » de se restreindre, ils canalisent l’anxiété relative à leur apparence par d’autres moyens, pas toujours meilleurs pour leur équilibre, et qui risquent de les faire rechuter. On a vu que les TCA sont très courants dans le milieu sportif ; dans le monde du bodybuilding, on peut même dire qu’ils sont plus ou moins la norme. Est-ce bien raisonnable de s’acoquiner de nouveau à cela ?



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Guérir définitivement peut donc sembler difficile, car cela demande de renoncer à de nombreuses choses. En fait, il s’agit de se déconditionner, d’entrer en résistance face à certains modèles sociaux (la « culture des régimes », mais aussi du « corps parfait »).


Comme pour les techniques de purge, il y a un travail de sevrage à mettre en place : les TCA sont une forme d’addiction, non pas à la nourriture, mais aux idées et aux comportements de contrôle du corps. Cela passe notamment par le fait de reconstruire sa personnalité autour d’autres domaines que sa silhouette et son alimentation.


Pour moi, c’est même un des critères pour savoir si une personne s’en est vraiment sortie : que fait-elle concrètement de sa vie ? est-elle passée à autre chose ? Si elle occupe ses journées à poster des selfies et des photos de ce qu’elle mange sur Instagram, je me permets (mais cela n’engage que moi) d’avoir quelques doutes…



Il faut retenir qu’on ne se soigne pas de ces maladies en pensant PLUS au corps et à la nourriture. C’est le contraire : on guérit en y pensant MOINS.





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