3.2 Manger « normalement »
- annem111
- 2 juin 2021
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 25 juin 2021
Lorsqu’on sort des TCA, il est important de ne pas retourner dans des « bizarreries » alimentaires : il faut veiller à manger normalement.
Comment définit-on cela de nos jours ?
La « norme », c’est l’expression d’une majorité : ce que font, donc, la plupart des gens. Dans le domaine de l’alimentation, il faut toutefois faire preuve d’une certaine prudence.
On l’a vu, nous avons aujourd’hui à notre disposition des aliments qui n’existaient pas il y a quelques décennies, et qui sont davantage source de plaisir que de nutrition.
Parallèlement, un nombre croissant de personnes suit les diktats d’une société (et d’une économie) obsédée de minceur, de « healthy » (ou ce qui en a l’apparence) et surtout de diètes en tout genre. La mentalité de « régimeuse », autrefois réservée à une petite minorité, s’infiltre désormais partout, et on entend parler de « détox », de « faible en calories » et de « sans ceci/cela » en permanence.
Et rappelons-le bien clairement : c’est précisément l’exposition à ce type d’idées et de comportements qui a déclenché les TCA !
*******
Nous allons donc définir les choses autrement : manger « normalement », c’est manger comme ces personnes qui ne suivent (et n’ont jamais eu l’idée de suivre) aucune forme de régime. Pour une raison ou une autre (génétique, psychologique, culturelle…), elles n’ont jamais, par quelque moyen que ce soit, cherché à contrôler leur alimentation (ou à contrôler leur corps via leur alimentation).
Ces personnes n’ont sans doute pas toutes un équilibre alimentaire parfait, mais elles ont en commun une chose très importante : elles n’ont pas peur de la nourriture.
Elles ne s’imaginent pas sans cesse que leurs aliments les font grossir ou les rendent malades. Elles ont gardé leur instinct pour savoir ce qui est bon, ce qui fait du bien, quand c’est le moment ou pas. Elles sentent que la nourriture apporte de l’énergie, du plaisir, de la convivialité. Si elles mangent un pain au chocolat, elles ne pensent pas qu’il faut maintenant trouver des stratégies pour « l’éliminer ». Lorsqu’elles sont invitées au restaurant, elles en salivent d’avance ; elles ne se stressent pas parce qu’il y aura du gluten, du lactose, des pesticides, du gras ou du sucre dans leur plat.
Dans de nombreux cas, cela n’empêche pas ces personnes d’être à leur set-point, en bonne santé, et d’avoir un minimum d’éducation alimentaire (pour rappel, le niveau de connaissance moyen d’un élève d’école élémentaire est parfaitement suffisant).
*******
Il est possible que les personnes ayant longtemps souffert de TCA ne puissent jamais revenir à un tel niveau d’insouciance. Mais elles peuvent néanmoins chercher à s’en approcher.
Le concept d’ « alimentation intuitive » est ce qui, à l’heure actuelle, va le plus dans cette direction. L’ouvrage fondateur, Intuitive Eating, a été publié en 1995 par deux diététiciennes américaines, Evelyn Tribole et Elyse Resch. Les principes ont été largement repris depuis, sous différentes formes. En France, ils ont notamment été popularisés au début des années 2000 par les nutritionnistes Jean-Philippe Zermati et Gérard Apfeldorfer.
Ces approches ont été les toutes premières à reconnaître l’échec et la dangerosité des régimes hypo-caloriques. Elles ont mis en avant des notions capitales pour le traitement des TCA :
- Le set-point.
- L’autorégulation grâce aux signaux de faim et de satiété.
- La neutralité des aliments : pas de « bons » et de « mauvais ».
- L’importance du plaisir, de ne pas manger « avec sa tête ».
- Le respect de la diversité des corps.
- Le fait de mettre l’objectif sur le bien-être plutôt que la minceur.
Toutefois, ces méthodes comportent quelques défauts, qui ont déjà été évoqués : en particulier, le principe de se libérer de toutes les règles alimentaires et de se donner la
« permission inconditionnelle de manger », peut ne pas être assez structurant pour des personnes en plein marasme.
La libéralisation de tout type d’aliment, si elle présente un intérêt psychologique certain, peut aussi avoir des revers nutritionnels et comportementaux (surconsommation). En outre, ce sont ces méthodes qui ont commencé à parler de la faim « émotionnelle », concept très peu pertinent pour aborder la faim extrême sous sa forme mentale.
Enfin, l’alimentation intuitive insiste beaucoup sur l’intérêt d’écouter ses sensations alimentaires afin de retrouver la voie de la modération : c’est sans doute vrai pour un mangeur régulé, mais certainement pas pour les personnes en situation de faim extrême (que cela panique inutilement).
L’alimentation intuitive (telle que décrite dans ces méthodes) peut donc très bien convenir aux personnes n’ayant pas de TCA, mais elle n’est pas totalement adaptée à celles qui en souffrent. De plus, elle est souvent confondue avec l’ « alimentation consciente » (ou « mindful eating ») et assimilée à diverses techniques pour le moins discutables dans notre cas.
Par exemple, on nous invite souvent à :
- évaluer sa faim et sa satiété sur des échelles de 1 à 10 ;
- poser sa fourchette toutes les trois bouchées ;
- mâcher un certain nombre de fois chaque bouchée ;
- manger dans des assiettes à dessert (et se resservir seulement si besoin) ;
- faire une pause et réévaluer sa faim au bout de 20 minutes ;
- arrêter de manger à 80% de satiété ;
- etc.
En plus de ne pas être franchement intuitives (l’intuition, c’est ne pas recourir au raisonnement !), ces techniques n’ont aucun autre but que celui de nous faire manger moins : elles sont donc parfaitement restrictives.
De nombreuses personnes suivent d’ailleurs les principes de l’alimentation intuitive exactement comme un régime : « je ne dois manger QUE si j’ai faim » et « je DOIS m’arrêter dès que je n’ai plus faim ». La mentalité de « régimeur » a donc fini par transformer l’alimentation intuitive en système d’autolimitation.
*******
Manger « normalement », ce n’est bien évidemment pas du tout cela.
Le mangeur « normal » mange parfois plus que sa faim, parfois pour le plaisir, parfois pour se réconforter, et ce n’est pas un problème. Il ne cherche pas à « compenser » ; il ne fait pas de lien direct entre la nourriture qu’il avale et son tour de cuisse (car au jour le jour, pour quelqu’un à son set-point, il n’y en a pas vraiment).
Le mangeur « normal » ne stresse pas par rapport à la nourriture, aussi il n’y pense pas plus que ça. Il n’élabore pas son prochain repas en se remémorant le précédent (il a probablement oublié). Il ne s’affole pas quand on lui apprend qu’il « faut » fractionner ses repas, éviter les fruits en dessert, ou supprimer les féculents le soir : si ses habitudes lui conviennent, il ne risque pas d’en changer !
Quand il a très faim, il mange trop vite, comme tout le monde. Il n’a sûrement aucune idée de ce qu’est un « cheat meal » ou un « journal alimentaire »... Bref, le mangeur
« normal » est effectivement un mangeur intuitif, mais certainement pas au sens où les « régimeurs » perçoivent, par les temps qui courent, cette notion.
Car l’alimentation intuitive est souple, libre, décomplexée.
Et le « régimeur » est mental, rigide, apeuré.
Pour les personnes qui sortent à peine de leurs TCA, il peut être assez difficile de naviguer entre ces écueils ; il faut trouver un rapport juste à la nourriture, sans être rattrapé par toutes sortes de mentalités toxiques.
*******
Pour ma part, je suis consciente d’être mal placée pour donner des leçons de
« normalité » alimentaire. Ayant connu les restrictions et la boulimie pendant la plus grande partie de ma vie, je ne pense pas être redevenue une mangeuse tout à fait
« normale » ou « intuitive ».
Toutefois j’estime, malgré tout, avoir trouvé ma façon de manger, qui s’en approche au maximum : en faisant des repas réguliers et structurés, en respectant mes envies alimentaires quand elles se présentent, en mangeant toujours à ma faim et en ne cherchant pas à compenser lorsque je sens que j’ai trop mangé (car je sais que c’est une chose « normale », que mon corps s’adapte très bien, et que « trop » vaut certainement mieux que « pas assez »).
J’essaie de cuisiner sans analyser le contenu nutritionnel de mes plats, même si je fais un peu attention aux étiquettes lorsque je fais mes achats (pour la composition, jamais pour les calories). Je mange aussi bien du poisson frais, des courgettes bio et du quinoa, que des pizzas toutes prêtes et du chocolat. Je n’ai plus du tout peur de mettre de l’huile ou du beurre dans mes plats, mais j’ai encore quelques « fear foods » (je vis très bien avec du miel et du beurre de cacahuètes dans mes placards, mais pas du Nutella).
Enfin, même si je ne compte plus les calories, j’ai tout de même été soulagée d’apprendre une chose : c’est que les minimas de la méthode Minnie Maud (2500 calories pour une femme et 3000 calories pour un homme) correspondent en fait à la ration moyenne tout à fait normale pour un adulte à son set-point. Ceci a été mesuré de façon scientifique en laboratoire (voir les travaux de Gwyneth Olwyn à ce sujet, et la Homeodynamic Recovery Method - nouveau nom pour Minnie Maud).
J’aurais aimé avoir cette version de la normalité à l’époque où je me débattais pour apprendre à manger convenablement (je pensais être « un cas », parce qu’on nous indique partout qu’une femme doit consommer 1800 ou 2000 calories, et que je n’y parvenais pas sans « criser »).
Bien sûr, je soumets ces remarques personnelles uniquement à titre informatif. Je suis fermement convaincue qu’après une phase de renutrition bien menée, et une rééducation correcte vis-à-vis des restrictions, tout « ex-boulimique » peut, lui ou elle aussi, trouver peu à peu sa façon de manger « normalement » !
Commentaires