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3.6 Ecouter les voix

  • Photo du rédacteur: annem111
    annem111
  • 2 juin 2021
  • 8 min de lecture

Dernière mise à jour : 21 juin 2021


Pour se maintenir sur la bonne voie, il faut écouter les voix !


Le jeu de mots est peut-être un peu facile, mais le conseil n’en est pas moins pertinent. Le fait d’entendre des « petites voix » dans sa tête n’est pas le signe de troubles mentaux particuliers : ceci est tout à fait habituel dans le traitement des TCA, et s’explique très bien par le fonctionnement de notre cerveau.



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Pour comprendre, Tabitha Farrar nous propose d’utiliser l’image d’un champ de maïs. Certains chemins ont été tracés pour circuler entre les plantations ; les passages répétés maintiennent ceux-ci bien visibles et praticables, puisque les plantes n’y poussent pas.


De la même façon, les pensées et les comportements que nous avons l’habitude de répéter chaque jour tracent des chemins dans notre cerveau. Ce sont les voies que nous empruntons constamment, et sur lesquelles nous nous engageons de façon quasi-automatique. Elles forment ce que nous interprétons comme la réalité (et qui est plutôt le prisme au travers duquel nous percevons la réalité).


Or, nous avons vu que notre cerveau a la faculté de se reconfigurer selon les schémas que nous répétons : le néocortex et (dans une moindre mesure) le méso-cortex sont doués de neuroplasticité.


Pour reprendre l’image du maïs, il est tout à fait possible de circuler dans le champ sans emprunter les chemins déjà tracés. Dans un premier temps, cela peut-être plus compliqué, car il faut « forcer » un peu : nous devons tracer de nouveaux passages. A force d’emprunter ceux-ci, ils sont de mieux en mieux définis et forment de nouveaux chemins. Parallèlement, les anciens chemins disparaissent, car si nous ne les empruntons plus, les plantes repoussent peu à peu à leur endroit.


La plasticité cérébrale nous permet de faire exactement la même chose avec nos pensées, nos comportements, et nos habitudes. Nous pouvons à tout moment faire le choix conscient de ne plus emprunter certains chemins. Cela est très difficile au début, car nos connexions cérébrales nous entraînent sur ceux-ci de façon quasi-automatique. Mais en remplaçant certains schémas par d’autres, nous pouvons tracer progressivement de nouveaux sentiers, que nous percevrons, au fil du temps, comme notre nouvelle réalité.



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Si nous avons des TCA, nous sommes habitués depuis des années, voire des décennies, à emprunter les chemins mentaux des TCA. Nous nous tenons sans cesse des discours sur la nourriture et la peur de prendre du poids : ce sont les « petites voix des TCA ».


Lorsque nous sommes au cœur de la maladie, ces « petites voix » nous semblent parfaitement crédibles, elles forment notre réalité, ce qui est vrai et juste à nos yeux. Nous ne voyons même pas comment il pourrait en être autrement : nous croyons ces

« petites voix », nous nous y identifions (nous pensons qu’elles sont nous) et nous sommes persuadés qu’elles sont adéquates pour définir le réel.


Au moment de soigner nos TCA, nous devons reconfigurer nos schémas mentaux. Il s’agit donc de ne plus emprunter certains chemins en mode automatique. Pour ce faire, même si cela semble difficile ou peu « naturel » au départ, il faut comprendre qu’ils ne sont pas nous, que nous pouvons vivre et fonctionner sans eux (c’est bien là notre but !).


Identifier les « petites voix » est une première étape pour en prendre conscience.


Il peut aussi être utile de les externaliser (les rendre « extérieurs à nous ») par d’autres

moyens : par exemple, certaines personnes aiment leur donner une image ou un surnom. On peut ainsi imaginer son TCA comme un petit personnage qui vient régulièrement nous chuchoter certaines choses à l’oreille, et lui trouver un petit nom amusant.


Mettre les choses en forme de cette façon permet d’y être attentif : à chaque fois que le TCA « pointe le bout de son nez », on parvient très facilement à l’identifier. Il peut être accompagné de certaines émotions, de sentiments de malaise plus ou moins diffus. Mais sa principale caractéristique, ce sont les fameuses « petites voix », ces pensées qui viennent nous hanter, et que nous devons nous entraîner à repérer immédiatement.



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Voici quelques exemples typiques de « petites voix des TCA » :


Je serais plus heureux si je perdais X kilos.

Cette personne doit forcément être heureuse, puisqu’elle est plus mince que moi.

Je déteste mes cuisses (mon ventre, mes fesses…) : il faut que je mange moins.

Je déteste mes cuisses (mon ventre, mes fesses…) : il faut que je fasse plus de sport.

Je voudrais manger des frites, mais je mange des haricots verts.

Être gros est la pire chose qui puisse m’arriver.

L’alimentation « intuitive », c’est N’IMPORTE QUOI : certains aliments FONT grossir, je DOIS contrôler mon alimentation.

Je ne suis pas « assez malade » pour faire une renutrition.

Je dois d’abord maigrir. Je ferai la renutrition après.

Pourquoi les autres auraient le droit de se mettre au régime et pas moi ? Vouloir perdre du poids, c’est tout à fait normal !

Si j’arrive à supprimer le sucre, je ne ferai plus jamais de crises.

Je peux réussir à me convaincre que je n’aime pas certains aliments.

Je ne dois pas craquer, je ne dois pas craquer, JE-NE-DOIS-PAS-CRAQUER (puis quand je craque : « foutu pour foutu », autant me bourrer de tout ce qui est interdit).

Je ne suis qu’un gros §xx@ %&*$# !!! Je ne mérite pas de manger.

Si je mange plus qu’hier, c’est sûr, je vais grossir.

C’est hors de question que je puisse accepter mon set-point.

J’ai déjà assez mangé. Je ne peux pas avoir faim.

Je n’ai pas le choix : je DOIS perdre du poids pour tel évènement (ou pour telle personne).

Quand j’ai faim, je mincis (faim=bien ; pas faim=pas bien).

Quand j’ai faim, je mange les mauvaises choses (faim=pas bien ; pas faim=bien).

Je dois trouver des techniques pour augmenter mon métabolisme.

Je veux bien manger à ma faim, mais je dois trouver des techniques pour la diminuer.

Mon estomac n’est pas comme celui des minces : je dois le rétrécir ou je serai obèse.

Si je mange moins que Y, je serai plus mince que Y.

Si je mange plus que Z, je serai plus gros que Z.

J’ai lu que manger « vegan » (ou « keto », ou « healthy » ...) diminue le set-point.

Untel m’a complimenté sur ma silhouette : je suis terrorisé à l’idée de grossir.

Untel ne m’a pas complimenté sur ma silhouette : c’est parce qu’il me trouve gros.

Maintenant que je ne fais plus de crises, je vais essayer le jeûne intermittent (ou la chrononutrition, la diète « whole 30 », etc.).



Cette liste n’est pas exhaustive ! Les « petites voix » peuvent prendre différentes formes, mais la base est toujours plus ou moins la même : elles incitent à perdre du poids, exposent les pires scénarios de prise de poids, créent des négociations interminables concernant les choix alimentaires, font des commentaires désobligeants sur l’apparence (parfois jusqu’aux insultes), poussent aux purges ou aux compensations après les crises, font des comparaisons incessantes avec les autres, dissuadent de chercher à se soigner, etc.


Comme on l’a vu plus tôt, les TCA sont le fruit d’un véritable « lavage de cerveau », qui peut être renforcé par ce que l’on entend et/ou observe autour de soi. Bien entendu, tout ceci entretient le climat de restriction mentale, avec les effets que nous connaissons.



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A contrario, lorsqu’on soigne ses TCA, on se surprend peu à peu à tenir d’autres types de discours : si nous suivons bien la renutrition et si nous sommes suffisamment motivés à guérir, nous commençons à formuler les choses autrement, à avoir des pensées plus saines, que nous pouvons alors identifier comme les « voix de la guérison ».



Voici quelques exemples de « voix de la guérison » :


Je ne m’occupe pas de ce que font les autres : leur histoire, leur corps, leur cerveau, leurs besoins sont différents des miens.


Je peux mincir ou prendre 10 kilos : je serai toujours la même personne.


Je mange des frites ET des haricots verts.


Je fais du sport parce que je n’aime pas me sentir essoufflé ou mollasson.


Je me fiche quand les personnes que j’aime ont des variations de poids : il en va exactement de même pour moi.


Je ne peux pas passer le reste de ma vie à restreindre ma nourriture et à tourner en boucle dans des pensées toxiques. Je me souhaite mieux que ça.


Je ne peux pas plus contrôler ma faim, que ma soif ou mes besoins de sommeil.


Je ne peux pas plus décider de mon poids, que de ma pointure ou de ma taille.


Je ne crois plus les « petites voix des TCA » : je sais bien qu’il ne se passe rien de grave quand je ne les écoute pas !


J’aime manger, la nourriture m’apporte du plaisir, et c’est tout à fait normal.


Maintenant, je peux sortir au restaurant, boire un verre, être invité chez des amis sans stresser (ou refuser). Comment ai-je pu vivre autrement ?


Quel que soit mon poids, je peux choisir des vêtements qui me mettent en valeur.


Je n’ai pas besoin de trouver belles toutes les parties de mon corps. Cela ne m’empêche pas de l’aimer, et d’être conscient de ce qu’il fait chaque jour (être en vie, en bonne santé, se déplacer, etc.).


En soignant mes TCA, j’apprends deux choses très importantes dans la vie : le lâcher-prise, et le fait d’être pleinement moi-même.



Il est possible de s’inspirer de ces phrases pour se les répéter chaque jour comme des

affirmations positives, ou les utiliser en « antidote » lorsque des voix toxiques se présentent. C’est une façon de faire, mais ce n’est pas obligatoire.


L’objectif principal est surtout de savoir repérer, dans ses propres discours mentaux, à quel moment on se situe dans une « zone saine », et à quel moment on glisse en « zone malsaine » (les ruminations typiques des TCA). Chacun peut par exemple tenir un carnet dans lequel il note les différentes « petites voix » qui lui sont propres, et ainsi suivre de près leur évolution.


En outre, enrichir son répertoire de « petites voix de guérison » permet de renforcer progressivement ses nouveaux schémas mentaux : l’obsession de contrôler son corps est peu à peu remplacée par un nouveau système de valeurs, à base de bienveillance corporelle, de neutralité alimentaire, de respect de soi en tant qu’individu, et des objectifs de vie que chacun associe à sa guérison.



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Il faut aussi comprendre que les « petites voix des TCA » ne sont pas à combattre. Nous devons juste les identifier, et ne pas y répondre (ne pas les croire, ne pas agir dans leur sens). Elles continueront à se présenter régulièrement, mais s’espaceront avec le temps. Savoir bien les reconnaître est toutefois crucial, car elles pourront se manifester ponctuellement tout au long de notre vie.


Dans les moments difficiles par exemple, les « petites voix des TCA » peuvent revenir plus fortement, et nous paraître de nouveau plus convaincantes : dans ces périodes où les choses nous échappent, l’illusion de contrôle donné par les TCA peut donner l’impression d’être une solution à nos problèmes…



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Il est probable que ces informations et ces techniques semblent curieuses à certains. Pourtant, elles ne sont pas franchement nouvelles. Le célèbre psychiatre et psychanalyste Jacques Lacan l’indiquait déjà il y a plus de soixante ans : « Un sujet normal est essentiellement quelqu'un qui se met dans la position de ne pas prendre au sérieux la plus grande part de son discours intérieur. »


Aussi étrange et contre-intuitif cela puisse-t-il paraître : nous ne sommes pas nos pensées ! C’est également ce que nous enseignent la plupart des pratiques de méditation : nos pensées nous traversent plutôt qu’elles nous définissent. Nous sommes libres de ne pas les suivre, ou même d’en remplacer certaines par d’autres, plus avantageuses.


En cela, il est très important de nous dissocier des « petites voix des TCA » : savoir qu’elles ne sont pas nous, qu’il ne faut plus jamais les croire, et qu’elles sont la pente savonneuse qui nous ferait immanquablement replonger. Nous avons là une technique essentielle pour nous maintenir sur la bonne voie, tout au long de notre vie.





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