3.4 Boulimie et psychologie
- annem111
- 2 juin 2021
- 9 min de lecture
Dernière mise à jour : 25 juin 2021
« When treating those with eating disorders, the practitionners cannot be afraid of what the eating disorder is afraid of. » [Lorsqu’ils soignent les malades de TCA, les praticiens ne peuvent pas avoir peur de cela-même qui effraie le TCA.] Rebecka Peebles, pédiatre.
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Les personnes qui ont des TCA ont des peurs liées à la nourriture et à la prise de poids. Il y a sans doute différentes explications à cela, mais il est nécessaire de reconnaître une chose : ce qui terrorise les malades, effraie aussi la plupart des gens. C’est ce qui rend le traitement si compliqué, et c’est ce qui explique que, souvent, les personnes les plus à même d’aider, sont celles qui sont elles-mêmes passées par ces maladies ; car pour tendre la main à une personne qui se noie, il ne faut pas avoir soi-même peur de l’eau. Il faut avoir, en quelque sorte, surmonté cela.
Nous vivons dans une société où les femmes en particulier, mais aussi de plus en plus d’hommes, ne sont pas satisfaits de leur image, n’aiment pas leur corps, et cherchent à exercer un contrôle dessus. Il y a, c’est un fait, de moins en moins de mangeurs
« normaux » (tels que décrits précédemment). C’est un problème dont les différents thérapeutes doivent être conscients : si chacun peut avoir ses propres inquiétudes par rapport à son corps en particulier, et à la nourriture en général, il est indispensable que cela ne se manifeste absolument pas dans les interactions avec les malades. J’estime, pour ma part, que les professionnels qui ne se sentent pas tout à fait en mesure de respecter cela, ne devraient pas recevoir de personnes souffrant de TCA.
Gwyneth Olwyn considère que tous les malades de TCA présentent le même profil : un corps affamé, et un cerveau qui a associé la nourriture à une menace (et qui n’est plus en mesure de répondre aux besoins physiologiques autrement que par les violentes pulsions de survie que sont les crises de boulimie).
Ce sont donc de véritables phobies qui se jouent ici : de la faim, de la nourriture, de la prise de poids. Un psychologue qui n’a pas identifié cela, peut-être parce que lui-même est en partie (et dans une moindre mesure) dans un schéma de craintes alimentaires, risque de faire, sans le vouloir, beaucoup de dégâts.
Certains diététiciens peuvent, eux aussi, être d’une rigidité alimentaire catastrophique pour les malades. Dans le domaine diététique, il peut être intéressant de s’orienter de préférence vers une personne formée par le G.R.O.S. (Groupe de Réflexion sur l’Obésité et le Surpoids, qui reconnaît les dangers des régimes et leur responsabilité vis-à-vis des TCA).
D’une façon générale, il est très fréquent que des praticiens activent, sans le savoir, les stresseurs typiques des TCA : en parlant de « bons » et de « mauvais » aliments, de ce qui fait grossir ou pas, des calories (dans un sens restrictif), de manger « sain » ou
« léger », etc. Ils ne se rendent pas compte que la personne entend ces mots avec une grande rigidité, que cela peut donner lieu à des délires et à une anxiété inimaginable.
L’idéal serait donc d’avoir affaire à des professionnels qui savent rester les plus neutres possible sur tout ce qui concerne la nourriture et le poids. S’ils ne le font pas d’eux-mêmes, il ne faut pas hésiter à en formuler la demande clairement.
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La boulimie entre dans le champ des « maladies mentales » ; le traitement se fait donc souvent auprès d’un psychologue ou d’un psychiatre. Pourtant, les conclusions de l’expérience du Minnesota l’ont montré : l’efficacité du traitement psychologique dépend de la renutrition. Et, on l’a vu tout au long de ce dossier, le mécanisme lié aux crises est biologique, pas psychologique (fait souvent ignoré des thérapeutes eux-mêmes).
Je tiens à être honnête : je n’ai aucune formation en psychologie. Mais je suis en psychothérapie depuis six ans, et je pense avoir un peu de recul sur certaines choses. Je me permets donc quelques remarques sur ce qui me semble pertinent, ou non. Je précise bien que cela n’engage que moi, qu’il s’agit de mes propres réflexions.
Déjà, c’est un fait : certains boulimiques parviennent à se soigner seuls. Cela demande d’avoir les bonnes informations, et d’être prêt à se lancer dans la renutrition. Ce point est loin d’être facile pour tout le monde : la plupart des malades sont tétanisés à l’idée de grossir. Donc pour tous ceux qui ne se sentent pas prêts, un travail avec un psychologue s’impose effectivement.
Pour être efficace, le traitement devrait d’abord, à mon sens, porter sur deux points :
- les problèmes d’image corporelle ;
- l’idée que le corps serait « une chose » que l’on peut soumettre à son contrôle.
Le set-point est ici encore un outil indispensable. Même si c’est difficile, il faut accompagner la personne dans son travail de « deuil » du corps idéal.
C’est une des raisons pour lesquelles j'estime absolument contre-productif d'entrer dans des explications « émotionnelles » ou « freudiennes » concernant les crises de boulimie. Je l’ai observé chez une connaissance, et dans de nombreux témoignages : les malades s’engouffrent dans cette brèche (« je suis un mangeur émotionnel » ou « je crise parce que j’ai des problèmes »), ceci afin qu’on ne leur enlève surtout pas l’illusion qu’ils peuvent avoir un jour le corps « parfait » promis par les régimes (ou autre technique de contrôle du corps). Ils préfèrent aller d’échec en échec avec les régimes (et de crise de boulimie en crise de boulimie) mais continuer à « y croire », plutôt que remettre en question ce qui doit l’être : le principe même de restriction.
Ces réactions sont bien sûr plus ou moins inconscientes. De nombreuses personnes sont d’ailleurs dans un déni total concernant les restrictions : elles peuvent être sincèrement convaincues de ce qu’elles disent (les restrictions sont alors confondues avec la « normalité »), dans d’autres cas, elles peuvent aussi mentir.
Je ne veux pas donner l’impression de faire des reproches, car je suis également passée par là : m’accrocher à mes restrictions, ne pas voir que je me faisais du mal, ne pas tout dire à ma psychologue, ne plus savoir ce qui est « normal », etc. Mais je dois reconnaître une chose : lorsque j’ai réussi à faire cesser mes crises, j’étais en thérapie depuis quelques années déjà. Je ne sais pas si j’aurais été capable de lâcher-prise comme je l’ai fait, si je n’avais pas déjà accompli un certain travail sur moi. Ma psychothérapie, si elle ne m’a pas directement fait arrêter de « criser », m’a toutefois donné une clé indispensable : la capacité de me respecter (que je n’avais très certainement pas avant).
Je ne pense pas qu’il faille obligatoirement plusieurs années de « psy », et encore une fois, certaines personnes parviennent très bien à se soigner seules ; je souhaite juste souligner que le travail avec un psychologue est parfois nécessaire.
Cela dit, lorsque les personnes sont en plein naufrage alimentaire, il y a un caractère d’urgence : les TCA sont, il ne faut pas l’oublier, des maladies qui tuent. Ce n’est donc pas le moment de traiter certains problèmes annexes, difficultés relationnelles, névroses ou autres vides existentiels. Contrairement à ce qu’on a longtemps pu croire, ils ne sont pas les causes directes des crises de boulimie. De plus, les malades sont au cœur d’une telle tourmente qu’ils ne sont plus en mesure de gérer quoi que ce soit d’autre. On sait en outre que les troubles alimentaires ont des effets délétères sur le cerveau, qui ne pense plus de façon rationnelle. C’est pourquoi j’estime qu’il est nécessaire de se concentrer sur le plus important : ce qui fait obstacle à la renutrition.
Car c’est bien la renutrition, et pas autre chose, qui fera cesser les crises. Et tout au long de celle-ci, l’accompagnement psychologique sera également d’une grande aide pour les personnes les plus fragiles. Au fond, les malades n’ont besoin que d’une chose : qu’on leur donne, et qu’ils se donnent aussi, la permission de manger. Pas seulement manger « raisonnablement », « un peu de tout » ou « comme tout le monde », mais manger selon leur appétit, qui est immense… et qui leur fait peur ! Pour aider, il faut que les praticiens ne soient pas eux-mêmes effrayés, et qu’ils aient, là encore, les bonnes informations.
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Concernant l’ « après-renutrition », l’expérience du Minnesota nous a montré un point étonnant : les obsessions et les troubles psychologiques parfois graves dont ont souffert les sujets (crises d’hystérie, automutilation, dysmorphophobie…) étaient « tout simplement » des conséquences de la dénutrition. Les sujets ne souffraient pas de ces troubles avant l’expérience, et ils n’en ont plus souffert une fois la renutrition terminée.
Cela signifie que, peut-être contre toute attente, une partie des personnes souffrant de TCA retrouve naturellement un bon équilibre psychologique, une fois la renutrition terminée. Certains anciens malades le rapportent : pour eux, c’était « juste » un régime qui a mal tourné.
Tabitha Farrar par exemple, explique qu’elle avait dû suivre un « petit régime » pour perdre quelques kilos afin de monter un certain cheval (à cette époque, elle était jockey). S’en sont suivies douze années d’anorexie, au cours desquelles elle a fait l’expérience de tous les troubles typiques de la maladie concernant l’image de soi. Pourtant, une fois guérie, elle relate qu’elle n’avait jamais spécialement eu envie d’être plus mince, que son corps lui avait toujours beaucoup plu (elle se dit elle-même « garçon manqué », peu sujette aux coquetteries) et que, tout au long de la maladie, elle était convaincue que ses désordres psychologiques n’étaient pas liés à sa personnalité, mais bien à des mécanismes biologiques.
Kathryn Hansen est du même avis : lorsque les crises de boulimie cessent, on retrouve sa vie « d’avant », qui n’est certes pas parfaite, mais qui n’est pas plus dysfonctionnelle qu’une autre… Certaines personnes tombent dans les TCA parce qu’elles ont un profil un peu plus rigide ou perfectionniste que la moyenne, sans que cela ne soit gênant la plupart du temps. Une fois renourries, il semble qu’elles repartent dans une vie relativement équilibrée.
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Pour d’autres personnes toutefois, il faut reconnaître que des troubles psychologiques ont pu préexister aux TCA. Lorsqu’on s’affame dans certaines proportions, c’est peut-être le signe d’un peu plus qu’un « petit travers » perfectionniste.
En effet, certaines personnes ont des TCA parce qu’elles se détestent, parce qu’elles ont le sentiment que leur vie leur échappe ou parce qu’elles sont en dépression (par exemple). « Guérir » ses crises de boulimie ne résout pas ces problèmes, qui étaient là avant. Si les questions concernant l’image de soi doivent être traitées dès le début, afin de ne pas retarder la renutrition, le travail peut se poursuivre ensuite efficacement sur les autres points : lorsqu’elles ne font plus de crises de boulimie, les personnes sont alors en mesure d’aborder leurs problématiques plus profondes.
En outre, certaines personnes vont, à ce moment, faire l’expérience du vide : dans leur vie, tout tournait autour de la nourriture et du corps, depuis des années. Faire une renutrition et se soigner, c’est aussi réaliser que toute cette « gestion du corps » dans laquelle on était, n’a plus de raison d’être. Des pans entiers de l’existence s’effondrent, et certains malades ont besoin d’être accompagnés pour reconstruire leur nouvelle vie, avec d’autres centres d’intérêt, et des façons plus saines de gérer leur probable anxiété.
Dans les cas de dépression, il semble qu’un point puisse aider, dès le début du traitement : la prescription de certains antidépresseurs semble profitable pour certains profils de malades, dans certains cas. Le but n’est pas de couper artificiellement l’appétit (Prozac), car les troubles reviennent au moment du sevrage (d’autant qu’il y a souvent eu perte de poids, très mauvais point donc). L’objectif est plutôt de traiter les troubles de l’humeur, sans impacter le comportement alimentaire, ni présenter d’éventuels effets secondaires au niveau du poids. Je ne veux pas m’avancer davantage, n’étant pas compétente sur ces questions (j’ai pris du Prozac plusieurs fois, aussi je me base sur mon expérience lorsque j’estime qu’il n’aide pas).
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Enfin, concernant le risque de rechute, il faut comprendre une chose : on dit souvent que les TCA peuvent revenir, notamment, lors des épreuves difficiles de la vie. C’est tout à fait possible, mais cela ne se passe pas comme on le croit : la personne ne va pas se mettre subitement à faire des crises de boulimie pour « supporter » ces mauvais moments, et les émotions associées. La boulimie n’est pas un désordre émotionnel ! Il peut y avoir quelques épisodes alimentaires compulsifs, comme en ont beaucoup de gens dans ces périodes, mais ce n’est pas un problème en soi (à moins que la personne ne commence à y répondre de façon inadaptée).
Le véritable risque donc, c’est que la personne retourne dans des restrictions : le facteur de rechute, encore une fois, est là, et pas ailleurs. Les restrictions, même involontaires (période où on mange moins à cause d’une maladie, d’un traumatisme, d’un épisode dépressif…) peuvent provoquer un retour foudroyant de la boulimie chez une personne qui a un historique de TCA. Il faut donc, dans ces périodes, être attentif au contenu de son assiette, et s’inquiéter en cas de variation(s) de poids soudaine(s) : le danger, le cas échéant, reviendra toujours par cette voie.
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Pour conclure cette partie « psychologique », je souhaite faire passer un message aux malades qui me lisent. Tout au long de ma traversée des TCA, je n’ai jamais eu l’impression d’être vraiment « malade » : j’ai évoqué mes problèmes avec des médecins, j’ai entrepris certaines démarches avec des psychologues ou psychiatres, je me suis confiée à des proches… mais au fond, ça ne me semblait pas une « vraie » maladie (parce que je ne pesais pas trente kilos). Je pensais juste que j’étais goinfre, trop pour rester mince… et que mes problèmes me gâchaient un peu (beaucoup) la vie. C’est seulement maintenant que je mesure ce à quoi j’ai échappé, et certains dégâts irréversibles sur ma santé. De nombreux témoignages vont dans ce sens : les boulimiques, surtout lorsqu’ils sont jeunes, minimisent leurs troubles, pensent que ce n’est « pas bien grave », que c’est juste un peu de « triche », une façon comme une autre de maîtriser son poids… Certains pensent même (concernant les vomissements) : « tout le monde le fait, mais ça ne se dit pas ».
RENSEIGNEZ-VOUS : CES MALADIES TUENT (ET DETRUISENT VOS ORGANES VITAUX) !
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