2.2 La phase de renutrition
- annem111
- 2 juin 2021
- 9 min de lecture
Dernière mise à jour : 25 juin 2021
Ancel Keys (le physiologiste de l’expérience de Minnesota) estimait à 4000 calories par jour le minimum pour renourrir ses sujets. Pendant la réadaptation, il a en effet testé différentes diètes, en faisant varier, entre autres, le nombre de calories, le pourcentage de protéines, les apports en vitamines. Il en a conclu que le facteur de renutrition le plus important est (de loin !) la charge calorique, qui doit être très élevée. Durant leur réadaptation libre, tous les sujets consommaient plus de 5000 calories quotidiennes.
Il est important de noter que cette phase d’hyper-abondance alimentaire est transitoire : elle vise à répondre à la faim extrême, le temps nécessaire pour faire disparaître les pulsions de boulimie. Comme pour la prise de poids, il est difficile de donner des indications de durée. Elle peut grandement varier en fonction des personnes, et de l’état de malnutrition dans lequel elles se trouvent. Chez certaines, il faut plusieurs semaines ou plusieurs mois (cas sévères d'anorexie) ; chez d’autres, les effets se font sentir beaucoup plus vite.
Pour être passée par là, et avoir lu de nombreux témoignages, je peux confirmer que cette phase a des effets quasi « magiques ». Les impulsions à « criser » s’espacent rapidement, le stress de grossir se mélange avec une curieuse sensation de sérénité retrouvée face à la nourriture, on retrouve peu à peu son énergie, et un beau jour, on se réveille en se sentant redevenu « normal » : plus d’obsessions alimentaires dès le petit matin, les pensées se remettent à circuler sur un tas de sujets variés, la nourriture n’est plus une source de préoccupations, on se sent LIBRE. C’est un soulagement immense.
Pour moi, c’est aussi la preuve par l’expérience, que toutes les notions abordées précédemment de façon théorique, s’avèrent tout à fait justes :
- Oui, le corps n’attend que cela : des nutriments, beaucoup de nutriments, retrouver un flot de nutriments inondant chacune de ses cellules !
- Oui, quelque chose « se débloque » dans le cerveau, et en l’espace de quelques semaines, on se sent redevenir la personne qu’on était avant !
- Oui, les crises de boulimie sont bien des dérèglements alimentaires (et certainement pas des dérèglements émotionnels) !
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Voyons maintenant le plus important : en quoi cela consiste exactement.
Pour que l’étape de renutrition soit bien menée, il faut respecter un certain nombre de paramètres. En effet, manger très abondamment ne veut pas dire faire n’importe quoi ou « criser » toute la journée.
Voici les points à prendre en compte afin de rétablir la situation efficacement :
- L’alimentation doit être régulière, c’est-à-dire que l’organisme doit recevoir plusieurs fois par jour le signal qu’il « fait le plein ».
- L’alimentation doit être riche en calories : 2500 calories pour une femme et 3000 calories pour un homme semblent être un strict minimum.
- L’alimentation doit être nutritive : si on ne mange que de la « malbouffe », le corps n’aura pas son compte en micronutriments, et il continuera à être en « alerte famine ».
- L’alimentation doit être non restrictive, c’est-à-dire qu’il faut pouvoir s’autoriser tout ce qui fait envie, sans aucun tabou alimentaire.
- L’alimentation doit être équilibrée en macronutriments (répartition protides/glucides/lipides), afin de retrouver un taux de sucre sanguin stable et limiter les rages de sucre ou autres compulsions.
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Cela semble faire beaucoup de contraintes, et pourtant dans les faits, c’est très simple.
Ce qui va nous aider ici, c’est tout simplement la notion de REPAS.
Il peut sembler curieux de mettre en avant une idée aussi banale, et pourtant, pour bon nombre de personnes souffrant de TCA, la notion de repas peut n'être qu’un lointain souvenir, tant elles sont dans le chaos alimentaire.
La première mesure à prendre est donc de réguler ce chaos.
La seconde mesure vraiment importante est de manger de façon dense : à la fois en calories, mais aussi en micronutriments (vitamines, minéraux, oligo-éléments, acides gras, etc.). En effet, si on ne mange que des « calories vides », le principal objectif est manqué : le corps ne reçoit pas de nutrition. Et en même temps, il ne faut pas s’interdire les aliments à « calories vides » … sinon, on est dans la restriction.
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Voici donc les consignes pratiques :
- Faire trois repas par jour minimum, à heures à peu près régulières.
- A chaque repas, s’assurer de manger autant qu’on le souhaite, de façon à se sentir bien « plein ». Il ne faut plus penser du tout à la nourriture en sortant de table, c’est le signe pour savoir qu’on a assez mangé.
- Ne pas hésiter à prendre un gros goûter à 16 ou 17 heures : c’est souvent un quatrième repas indispensable, qui correspond à un besoin physiologique.
- Ne pas s’imaginer qu’on mange trop, qu’on devient hyperphagique, qu’on est en train de « criser » : ce n’est pas du tout le cas, c’est pour guérir qu’on fait cela.
- Choisir les plats et les aliments que l’on aime, manger vraiment selon ses goûts (et non selon des « idées » de ce que l’on devrait manger).
- Respecter un minimum de structure et d’équilibre dans la composition des repas (voir les précisions ci-dessous).
- Eviter de grignoter entre les repas ; mais si on en ressent le besoin, faire des collations avec des aliments qui ne perturbent pas la glycémie et apportent des nutriments (par exemple pommes, amandes, yaourts…).
- Penser à boire suffisamment d’eau, sans excès.
Certaines approches conseillent de compter les calories chaque jour, de façon à s’assurer que la renutrition est suffisante (la méthode Minnie Maud notamment). C’est peut-être utile pour les personnes dont les réflexes anorexiques sont encore très ancrés, et qui peuvent être enclines à ne pas manger assez, à se restreindre sans s’en rendre compte. Pour les autres, je ne pense pas que ce soit nécessaire, au contraire : compter les calories est un réflexe de « régimeuse » dont il faut apprendre à se défaire. Si cela reste un sujet de stress, il faut bien noter que 2500 calories pour une femme (+ 500 si elle a moins de 25 ans) et 3000 calories pour un homme (+ 500 s’il a moins de 25 ans) sont un strict minimum. Pour la plupart des personnes, ce sera bien plus, et cela variera en fonction des jours, c’est tout à fait normal !
Les personnes qui n’ont jamais compté les calories et ne savent pas les évaluer peuvent négliger toutes ces remarques, et se baser sur leurs ressentis.
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Concernant la structure et l'équilibre des repas :

Il est important de ne pas entrer dans des considérations trop techniques concernant l’équilibre alimentaire. Les personnes qui ont des TCA ont souvent aussi un profil orthorexique, très informé sur la nutrition, ce qui ne va pas nous être utile ici.
L’idéal, au contraire, serait de revenir au niveau de connaissance moyen d’un élève d’école élémentaire : c’est bien suffisant pour retrouver de bons apports nutritionnels, et surtout arrêter de cogiter sur la « meilleure » façon de manger (qui n’existe pas).
Un repas structuré et équilibré, ce sera donc :
- Au moins une portion de légumes
- Au moins une portion de protéines : viande, poisson, œufs (ou protéines végétales du type tofu, légumineuses)
- Au moins une portion de féculents : pain, riz, pâtes, pommes de terre…
- Au moins une portion de laitages : lait, fromage, yaourt
- Au moins une portion de matières grasses : beurre, huile, crème…
- Au moins une portion de fruits
Le but ici est donc de ne pas entrer dans des questionnements du type : est-ce que les laitages sont sains ? est-ce que le gluten est nocif ? est-ce que la viande rouge est
cancérigène ? est-ce que le sucre est addictif ? etc.
Les personnes qui savent avec certitude qu’elles ont des allergies ou ne digèrent pas bien certains aliments ne les consommeront pas. Les personnes qui sont végétariennes depuis des années ne se mettront probablement pas à remanger de la viande (à moins qu’elles n’en ressentent le besoin ou l’envie).
Dans les autres cas, la consigne est simple : pendant cette phase, il faut manger de tout. C’est indispensable et c’est non négociable.
Voici quelques exemples de repas :
- salade composée + lasagnes + pain aux noix + fromage + fraises chantilly
- pavé de saumon + tarte aux poireaux + salade verte + crème caramel + poire
- tomates/mozza + pizza aux fruits de mer + salade de fruits + chocolat
- raclette (fromage, pommes de terre, charcuterie) + salade verte + pommes au four
- couscous (légumes, semoule, viandes) + coupe de glace + banane
- salade betterave/mâche/feta + steak + frites + haricots verts + gâteau à l'ananas
Ces menus sont juste des exemples, pour montrer qu’il ne faut pas prendre la notion de « repas équilibré » dans le sens : blanc de poulet + légumes vapeur + 2 cuillerées de riz + yaourt 0% + pomme (ceci est un menu de régime et non un repas nourrissant, donc à fuir absolument !). Bien évidemment, chacun adaptera selon ses habitudes et ses envies. Il ne faut pas hésiter à se resservir, à ajouter si besoin d’autres choses (un avocat, des toasts beurrés, un verre de lait fraise, des biscuits avec un thé…), de façon à se sentir parfaitement « plein » et libéré de l’envie de manger (au moins pour deux ou trois heures).
Pour le petit déjeuner et le goûter, il faudra, de la même façon, respecter une structure du type : au moins un fruit + au moins un laitage + au moins un féculent + au moins une matière grasse (sans avoir peur des quantités, et en mettant l’accent sur les nutriments).
Par exemple :
- pain + beurre + miel + clémentines + fromage blanc + café au lait
- céréales + yaourt + banane + amandes + chocolat chaud
- œufs brouillés + pain + fromage + compote + thé sucré
- croissants au beurre + confiture + petits suisses + jus d’orange frais
Les personnes qui ne sont pas habituées à manger dès le lever pourront prendre leur petit déjeuner un peu plus tard dans la matinée, mais certainement pas attendre midi pour faire leur premier repas : le « jeûne intermittent » n’est pas du tout adapté aux personnes qui se soignent des TCA.
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Concernant le choix des plats, il convient de se sentir très libre, de manger ce que l’on aime, et de varier au maximum. Toutefois, il faut tout de même retenir une chose, c’est que certains aliments contiennent beaucoup plus de micronutriments que d’autres :
==> Les légumes, les légumineuses, les fruits, les protéines animales, les laitages, les noix et les grains entiers sont des aliments riches en micronutriments.
==> Les produits céréaliers, les sucreries, ainsi que tous les produits industriels « tout
prêts » sont des aliments assez pauvres en micronutriments.
Ceci n’est en aucun cas une incitation à éviter la seconde catégorie (pas de restrictions !), mais au contraire une invitation à augmenter la première ! Les aliments s’équilibrent entre eux, c’est leur combinaison qui forme une alimentation nutritive. C’est pour cela que nous faisons des repas. Le bon réflexe, c’est donc par exemple d’associer des biscuits avec un yaourt, ou un hamburger/frites avec des crudités.
Les fruits et légumes ne doivent pas être vus comme des aliments « de régime », mais au contraire comme des aliments nutritifs que l’on ajoute aux autres, afin de fournir au corps tout ce dont il a besoin. Les personnes n’ayant pas ou peu l’habitude d’en consommer pourront s’orienter dans un premier temps vers ceux qui leur déplaisent le moins, puis trouver peu à peu des façons d’en accommoder d’autres qui leur conviennent également (ne pas hésiter à cuisiner avec de l’huile d’olive, de la béchamel, s’inspirer des recettes de légumes qui plaisent aux enfants, etc.). J’insiste bien sur le fait qu’ils sont absolument indispensables.
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Bien entendu, pour être efficace, la phase de renutrition doit être mise en place sérieusement. Elle ne peut pas être suivie « à moitié ». Toute pratique restrictive quelle qu’elle soit doit être écartée. Par exemple :
- sauter des repas,
- contrôler ses portions,
- supprimer certains groupes d’aliments,
- se faire vomir après les repas,
- etc.
Tant qu’on prolonge ce type de pratiques, on entretient son problème de boulimie, c’est ainsi. A chaque fois qu’on saute un repas ou qu’on se fait vomir, on envoie au cerveau le signal que l’abondance est incertaine, que la nourriture risque de manquer de nouveau, ou d’être « reprise ». En période de renutrition, on ne peut obtenir les effets escomptés que si l’abondance n’est en aucune façon « contrariée ».
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Pour optimiser les apports, il est possible de prendre en plus un complément alimentaire du type multi-vitamines et minéraux (marques Bion, Superdiet, Fleurance, etc.). Il ne faut pas compter dessus pour remplacer une alimentation abondante et nutritive, mais en complément, cela ne peut pas faire de mal.
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AVERTISSEMENT IMPORTANT :
le syndrome de renutrition inappropriée
« Le syndrome de renutrition inappropriée (SRI) est caractérisé par un ensemble de complications métaboliques apparaissant au moment de la renutrition d’une personne ayant eu très peu d’apports alimentaires depuis plus de cinq jours, conduisant à un grand nombre de complications dont la mort. » (Wikipédia)
Le SRI est la conséquence du passage du catabolisme à l’anabolisme. L’apport glucidique après une période de réduction prolongée entraîne une augmentation brutale de l’insulinémie, provoquant des déséquilibres importants au niveau des électrolytes (phosphore, potassium, magnésium). Les atteintes principales du SRI sont cardiovasculaires, respiratoires et nerveuses ; elles peuvent rapidement évoluer vers une défaillance multiviscérale entraînant la mort.
Les sujets à risque sont principalement :
- les personnes dont l’IMC est inférieur à 16, et/ou
- les personnes présentant une perte de poids récente et conséquente (supérieure à 15% du poids initial, en l’espace de trois à six mois), et/ou
- les personnes dont les apports énergétiques ont été fortement réduits sur une durée supérieure à dix jours.
La phase de renutrition doit impérativement, pour ces personnes à risque, être mise en place de façon progressive et sous surveillance médicale.
Par ailleurs, il faut noter que les personnes anorexiques, lorsqu’elles font des crises de boulimie, sont elles aussi concernées par le risque de SRI, ainsi que toute personne sortant d’un jeûne d’une semaine ou plus.
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